
Désenfantés : la traversée du deuil périnatal
Quel tabou que celui de la mort ! D'autant plus quand il s'agit d'un bébé... Hélène GUERIN a créé des outils pour accompagner cette traversée indicible. Elle léve le voile sur le cheminement invisible du deuil périnatal : non-dits, karmas brefs, dialogue avec l'âme du bébé, écho sur le transgénérationnel...
Yuliya Kosolapova
« Quand quelqu'un naît, on se réjouit. Quand quelqu'un se marie, on fait la fête. Mais quand quelqu'un meurt, on
fait semblant que rien ne s'est passé », soulignait l'anthropologue Margaret Mead. Et que dire d’un bébé ?! Que la mort survienne au cours de la grossesse, à l’accouchement ou peu
après, tout le monde est perdu lors d’un deuil périnatal : les parents, la fratrie, mais aussi les proches. Accompagnante à la naissance et cofondatrice de la communication connectée, Hélène
Gérin a écouté des parents endeuillés, leur entourage et des professionnels de l’accompagnement pour recueillir leurs besoins. Il en est sorti Dans ces moments-là, un ouvrage pacifiant qui « recrée des ponts, là où il y avait du silence ou de la gêne ».
Pensez-vous que les mots puissent panser les maux lorsqu’on perd un bébé ?
Les parents endeuillés souffrent de la lourdeur du tabou qui entoure encore le deuil périnatal. Ils ressentent une double peine. Ils disent : « Mon enfant est mort une première fois le jour de sa mort. Une deuxième fois, quand personne ne voulait parler
de lui. » Ils ont besoin d’être reconnus ; on parle de veufs, d’orphelins, mais il n’y a pas de mots pour parler des parents désenfantés (on dit parfois paranges), comme si perdre
un bébé était trop insoutenable pour être nommé. On entend : « De toute façon, dans ces
moments-là, il n’y a rien à dire... » Je crois plutôt à la magie du verbe. Le bébé décédé est un membre de la famille qu’il est essentiel de reconnaître en tant que tel. Une
chercheuse belge en psychologie du deuil a rapporté que 80 % des paroles de l’entourage sont jugées non soutenantes par les parents endeuillés. Mais je crois profondément à une autre réalité
possible ! En tant que proches, nous avons toute notre humanité à offrir. J’ai constaté que ce qui est le plus apprécié des parents est d’être simplement entendus, reconnus, compris.
Quel est l’impact des non-dits sur l’égrégore familial transgénérationnel ?
Pour éviter les secrets de famille, dont on sait qu’ils infiltrent l’arbre généalogique, il est essentiel de parler de la perte d’un bébé. Si l’on s’adresse à des enfants (les aînés de la fratrie
ou ceux nés après le décès du bébé), on adapte bien sûr le discours à l’âge. Les non-dits, eux, font des dégâts ; telle une ancre, ils peuvent figer dans le passé. Je pense à Sabine dont le
premier bébé est mort lors de l’accouchement, il y a plus de quarante ans. Ce décès a laissé de lourdes blessures, car elle n’avait pas été autorisée à voir son bébé ni à aller à l’enterrement.
La douleur a perduré, car personne dans la famille n’évoquait ce sujet tabou. Rachel, la fille de Sabine, en mesure les conséquences, car sa mère s’est suicidée à l’âge de cinquante-six ans. Cela
a impacté aussi la vie de Rachel, car sa mère, par peur de la perdre, la surprotégeait, d’où un mal-être indicible. Beaucoup de choses ont changé lorsqu’elle a compris, après avoir mis son père
au pied du mur, qu’elle était la deuxième dans la fratrie, et non l’aînée comme elle le pensait. Après un travail intérieur, elle a trouvé sa juste place ; dans la famille, dans sa vie.
Vous conseillez également de situer le bébé dans l’arbre généalogique...
Il est utile, pour les parents et pour les proches, de resituer ce bébé dans son histoire familiale. C’est ce qu’a fait ce papa le jour de l’enterrement de Pio (mort à six mois de grossesse d’une
cardiomégalie) : il s’est adressé à ce fils décédé et à toute la famille en le situant à voix haute dans sa lignée complète, en disant : « À vous tous, membres de nos familles... notre démarche est d’établir Pio comme être à part entière, membre de
sa famille. Pio ce n’est pas l’enfant que n’auraient pas eu Pilou et Clem. Pio, c’est votre arrière-petit-fils, votre petit-fils, votre neveu, votre cousin... »
Quel est le sens d’un karma si bref ?
À la lumière de mon accompagnement, ce qui ressort dans ces dimensions subtiles, c’est qu’il a deux types de sens à un passage si éphémère ; d’une part pour le bébé, d’autre part pour la maman
(pour le papa aussi). Du côté du bébé, j’ai retenu trois fonctions parmi d’autres. D’une part réparer. Par exemple, l’âme d’une personne suicidée dans une vie précédente revient parfois juste
pour un petit temps supplémentaire, comme si elle voulait se reconnecter à la beauté de la vie afin de ne pas rester enfermée dans la croyance que l’existence est horrible. Reprendre goût à la
vie, avant de se réincarner pour de bon. D’autre part, ça peut être pour apprendre quelque chose, comme goûter à l’immensité de l’amour maternel, parental, après une existence difficile, et se
dire ok je peux revenir...
Autre sens possible : pour terminer quelque chose ; si, par exemple, dans une vie précédente la personne n’a pas eu le temps de dire au revoir (guerre, accident... confinement), dans la vie
d’après cette âme se réincarne juste pour clore ce moment volé. En ce qui concerne la maman, et plus largement les parents, il y a aussi plein de sens différents. En fait, donner du sens n’a de
sens que si ça fait sens pour la maman, pour le papa ! Sans rentrer dans le détail, certaines mamans m’ont confié que leur deuil périnatal leur a permis de se réinventer - réorienter leur
parentalité, leurs priorités et le sens donné à l’existence... Cette perte peut aussi parfois survenir pour nettoyer des mémoires transgénérationnelles, etc.
Comment dialoguer avec l’âme de ce bébé disparu ?
Il y a plein de parents qui dialoguent, sans avoir de dons particuliers. Ils sont attentifs aux signes que la vie leur envoie et qui leur montrent que le bébé leur parle. Les proches, eux, les
prennent parfois pour des fous n’y voyant que des coïncidences... Mais si ça a du sens pour les parents, c’est précieux ! Une maman m’a ainsi raconté avoir eu des jumeaux ; la petite fille a
survécu et le garçon est décédé. La maman vivait tous les 7 de chaque mois (jour du décès) comme un jour horrible... Quelque temps après, chez des amis à la campagne, un oiseau s’est posé sur le
Maxi-Cosi de la petite. Or, un bébé, ça fait du bruit, des gestes vifs, et ils étaient nombreux autour de la table. C’est rare qu’un oiseau se pose ainsi... Un 7 d’un autre mois, la maman fait
une balade de routine avec son chien, quand une nuée d’oiseaux spectaculaire surgit et l’accompagne. Le petit étant décédé d’une erreur médicale, les parents avaient choisi de se faire
accompagner d’une avocate. Leur premier rendez-vous a été fixé un 7... « par
hasard ». Et derrière le bureau de l’avocate, sur la façade de l’immeuble d’en face, les parents ont vu une immense fresque d’un oiseau déployant ses ailes ! Et quand ils ont
dispersé les cendres du bébé, des mouettes se sont approchées. À chaque fois, c’était comme si le petit leur faisait un clin d’œil.
Je pense aussi à un couple qui a perdu une petite fille, Lenora. Ils avaient acheté le tour de lit, orné d’une petite coccinelle. Du coup, ils avaient symbolisé leur bébé via cette coccinelle...
Lors de l’entretien d’embauche que la maman a passé, peu après ce drame, elle a vu une coccinelle en partant de la maison, à une saison où il n’y en a pas. Elle a été embauchée, et le premier
jour de travail, elle a aussi aperçu une coccinelle. Pour elle, ce signe était un encouragement de sa petite.
Qu’en est-il des parents qui se font accompagner par des médiums, thérapeutes en constellations familiales (etc.) pour dialoguer avec le bébé ?
Je pense à un témoignage en communication connectée. Il s’agit d’une maman qui a perdu un premier garçon, décédé tard dans la grossesse, puis elle a eu un deuxième garçon, ensuite une petite
fille. Après le décès du premier, elle n’a pas pu se confronter au deuil. Elle l’a mis de côté pour aller de l’avant... Au moment de la grossesse de la troisième, elle a senti qu’elle perdait
pied. C’est alors l’aîné, décédé, qui est en quelque sorte venu lui dire qu’il était temps qu’ils « discutent ». Ce qui ressortait en communication connectée, concernant le sens du passage si
bref de ce bébé, c’est que ça l’avait transformée comme maman. Scientifique, elle travaillait à l’université et donnait tout pour son travail. Ce décès l’a ouverte à tout un nouveau pan de la
parentalité bienveillante et elle a levé le pied professionnellement. Tous ses choix parentaux ont été illuminés par cette première perte qui l’a fait devenir une autre maman. Bien sûr, cela
n’enlève rien à la tristesse !
Est-ce important de nommer le bébé disparu ?
Comme le dit Oscar Wilde : « Une chose dont on ne parle pas, n’a jamais existé. C’est
l’expression seule qui confère la réalité aux choses. » La spécificité du deuil périnatal, par rapport aux autres deuils, c’est qu’il n’y a pas ou peu de souvenirs à partager,
rien de tangible pour attester de son existence. Perdre un bébé, ce n’est pas un deuil du passé, mais un deuil de l’avenir. Tous les parents ne donnent pas de prénom à leur bébé décédé, mais si
c’est le cas, je conseille aux proches de ne pas hésiter à le leur demander et à le prononcer, telle une façon de leur dire : « Je sais que ton enfant a existé. » Aux dires des parents, c’est vraiment réconfortant de
pouvoir prononcer et d’entendre le prénom qu’ils ont choisi.
Quelle est la place des rituels dans l’accompagnement du deuil périnatal ?
Plus encore que pour les autres deuils, ça peut être très guérisseur. Les rituels ont quelque chose de structurant,
intérieurement et socialement. Comme les parents et les proches ont peu de souvenirs, il est important de symboliser ce bébé. Dans le livre, je partage l’histoire de Céline qui est allée au bord
d’une rivière et a sélectionné cinq pierres, une pour chaque mois où Kanayama, son petit, avait été dans son ventre. Elle a empilé ces pierres à la manière des cairns et, à chaque pierre posée,
elle se remémorait le mois en question, avec ses joies et ses doutes. Elle a laissé monter les émotions et les a ensuite laissées partir avec le flot de la rivière... D’autres plantent un arbre,
créent une sculpture... Chaque famille trouvera le rituel qui fait sens pour elle, si elle le souhaite. En tant que proche, si vous en organisez un pour les parents, il est important de vous
aligner sur leurs croyances (ou leurs non-croyances) sans chercher à imposer quoi que ce soit. C’est valable pour tout soutien.
Auteure : ANSELME Carine
Inexploré