
DAME BLANCHE
L’appellation dame blanche est donnée à des mythes ou apparitions de natures diverses. Il peut s’agir:
• d’entités surnaturelles tenant les rôles de fées, de sorcières, de lavandières de la nuit ou d’annonciatrices de mort prochaine;
• de fantômes de femmes décédées lorsqu’il s'agit de spectres hantant des châteaux ou d’auto-stoppeuse fantômes.
Quelle que soient leurs formes, les légendes des dames blanches se retrouvent un peu partout en Europe et aux États-Unis: France (Languedoc): Damas blancas, Angleterre: White Lady, Allemagne: Weisse Frauen, Hollande: Witte Wieven ou Wittewijven, Europe centrale: Bílá paní.
Typologie
Les fées
Dans le folklore ancien, il s’agit de fées, moitié déesses, moitié sorcières, que l’on rencontre dans tous les pays du monde. Elles ont une parenté évidente avec la reine Guenièvre de la légende arthurienne et la fée Mélusine. Elles habitent les nuits des landes et les forêts et s’attaquent parfois aux rares passants.
Pour le savant jésuite Martín Antonio Delrío:
« Il y a une sorte de spectres peu dangereux qui apparaissent en femmes toutes blanches dans les bois et dans les prairies; parfois on les voit dans les écuries, tenant des chandelles allumées dont elles laissent tomber des gouttes sur le toupet et les crins des chevaux, qu’elles peignent et qu’elle tressent ensuite fort proprement. »
Elles sont encore connues dans les sites suivants:
• la chute Montmorency (Québec);
• Tonneville (France, Manche);
• le lac de Paladru (France, Isère);
• de nombreux lieux dans les Pyrénées (daunas blancas, damas blancas), notamment des grottes ayant constitué des habitats préhistoriques. En Comminges, les Aubegas, en Barousse, les Blanquetas.
Les lavandières
Une variété de dame blanche est constituée par les lavandières de la nuit. C’est un mythe présent dans de nombreuses régions d’Europe, sous des noms divers: Kannerez-noz, Night washerwoman, Bean nighe, Lavandeira Da Noite, Lamina, Bugadiero, Gollières à noz, etc.
« On appelle lavandière de nuit des femmes blanches qui lavent leur linge en chantant, au clair de lune, dans les fontaines écartées; elles réclament l’aide des passants pour tordre leur linge et cassent les bras à qui les aide de mauvaise grâce. »
Les messagères
La dame blanche annonciatrice d’une mort prochaine est la transposition continentale de l’ancien mythe irlandais de la banshee, repris dans la légende de la fée Mélusine au XIVe siècle: attachée à la puissante lignée des Lusignan, son apparition sur une des tours du château de Lusignan, accompagnée de hurlements lugubres et de sifflements, annonçait la mort d’un membre de la famille dans les trois jours5.
Selon Érasme: « Un des faits les plus connus demeure l’apparition de la dame blanche aux familles princières. » Au début du XVIe siècle de nombreuses grandes familles aristocratiques européennes avaient leur dame blanche attitrée. Plus stylées que leurs ancêtres, elles ne hurlent pas et peuvent même parfois se montrer protectrices, telle la « dame blanche de Krumlov », attachée à la puissante famille Rožmberk (Rosenberg) de Bohème qui apparut plusieurs fois en 1539 auprès de l’héritier nouveau-né. La dame blanche attachée à la maison germanique des Neuhaus est ambivalente, elle annonce une mort si elle porte des gants noirs, mais aussi un heureux présage si ses gants sont blancs. On trouve des dames blanches attachées aux Habsbourg, aux Hohenzollern, aux Brunswick, aux Brandebourg, aux Bade, aux Pernstein. Une dame blanche serait aussi apparue à l’empereur Charles Quint en 1558, la veille de sa mort, au monastère de Yuste où il s’était retiré. C’est cette dame blanche qui a donné lieu à la personnalité de la « Nonne Sanglante ».
La double apparition d’une dame blanche au prince Louis-Ferdinand de Prusse, la veille et le jour de sa mort tragique sur le champ de bataille de Saalfeld, eut pour témoin le comte Grégoire Nortiz qui, prussien d’origine, passa en 1813, au service de la Russie et mourut, en 1838, aide-de-camp du Tzar Nicolas. Le comte Nortiz rédigea, quelques heures après l’évènement survenu au château du duc de Schwarzbourg-Rudolstadt le 9 octobre 1806 vers minuit, un récit qui est conservé dans les archives de la Maison des Hohenzollern».
En juillet 1832, c'est à l'Aiglon, fils de Napoléon Ier, qu'elle serait apparue la veille de sa mort. En 1889 un domestique aurait vu une dame blanche roder dans le parc de Mayerling la nuit du célèbre drame. Pendant son séjour à Caux, près de Montreux, l'impératrice Sissi prétendit, le 30 août 1898, avoir vu distinctement la dame blanche la nuit, soit 11 jours avant son assassinat à Genève. Une dame blanche semble avoir annoncé la mort prématurée du grand-duc Viatcheslav Constantinovitch de Russie.
Dans le légendaire pyrénéen, on retrouve des dames blanches assimilables à des personnes de sang royal ou princier (ou à leurs spectres), et qui jouent un rôle protecteur. C’est le cas en Andorre, où la dame blanche apparaissait près de la cascade d’Auvinya, elle habitait une tour voisine et elle apparut à plusieurs reprises pour défendre le territoire andorran contre les visées d’un évêque d’Urgel, puis contre les attaques d’un loup monstrueux qui n’était autre que cet évêque métamorphosé.
En Ariège, une dame blanche, princesse aragonaise, vivait au château de Puivert, au pied d’un lac, et c’est en voulant faire baisser les eaux de ce lac qu’on provoqua un éboulement et que les eaux du lac se répandirent dans la vallée, détruisant l’ancienne ville de Mirepoix (le fait est historique, même si les causes véritables ne sont pas connues, ou sont probablement naturelles).
Les spectres
De nos jours, les dames blanches semblent avoir cessé d’annoncer les décès aristocratiques, mais elles restent très présentes en tant que fantômes de lieux (grande hantise), essentiellement dans des châteaux ou des abbayes, où elles sont fréquemment censées garder un trésor légendaire:
« En plusieurs endroits se promènent des dames blanches, qui recherchent surtout le voisinage des anciens châteaux. »
• l’abbaye de Mortemer (France, Eure);
• le château de Puilaurens (France, Aude);
• le château de Puymartin (France, Dordogne);
• le château de Trécesson (France, Morbihan);
• le château de la Boursidière (France, Hauts-de-Seine);
• le château de Mourioche (France, Côtes-d'Armor);
• le château d’Arlempdes (France, Haute-Loire);
• le château du Hohenbourg (France, Bas-Rhin);
• le château de Pouancé (France, Maine-et-Loire);
• le château de Landreville (France, Ardennes);
• le château de Frœningen (France, Haut-Rhin);
• le château de Fougères-sur-Bièvre (France, Loir-et-Cher);
• etc.
Les dames vertes
Il semble que les dames vertes ne diffèrent des dames blanches, qu’elles soient fées ou spectres, que par la couleur de leur vêtement. Il faut peut-être chercher leur origine dans la tradition du Pays de Galles qui veut que les fées soient habillées de vert afin de mieux se cacher dans les feuillages Il ne s’agit pas d’une variante exceptionnelle, car elles sont signalées dans de nombreux lieux:
• au château du Rocher (France, Mayenne);
• au château de Caerphilly (Pays de Galles);
• au château de Crathes (Écosse);
• au château de Bouillé (France, Mayenne);
• au château de Stirling (Écosse);
• au château de Brissac (France, Maine-et-Loire);
• au château de Fyvie (Écosse).
Il existe également des grottes de la Dame Verte en Franche-Comté, telle celle de Les Nans. La dame verte est aussi présente dans le folklore picard.
Les auto-stoppeuses fantômes
Une évolution récente du mythe de la dame blanche est celui de l’auto-stoppeuse fantôme. Il s’agit presque exclusivement d’apparitions de jeunes femmes, même s’il existe quelques cas d’autostoppeurs. Dans le scénario le plus courant, une jeune femme habillée en blanc fait de l’autostop la nuit et, après être montée dans un véhicule, disparaît brusquement, soit à l’approche d’un passage dangereux en poussant un cri d’alarme, soit en arrivant à une adresse donnée. Ce phénomène est connu un peu partout dans le monde et est généralement considéré comme appartenant aux légendes urbaines.
Contrairement aux dames blanches « fées » ou « messagères » qui sont des entités, les auto-stoppeuses fantômes semblent être toujours le fantôme d’une personne contemporaine décédée accidentellement.
À côté des différentes légendes, une ancienne tradition voulait que les reines de France portent le deuil de leur royal époux dans des vêtements blancs, ce qui leur valait le surnom de « reines blanches » ou de « dames blanches ». Cet usage perdura jusqu’au XVIe siècle, au moins dans leur appellation:
« Brantôme auroit dû ajouter que la Reine Anne fut la première Reine de France, qui après la mort de Charles VIII (1498) changea la couleur de l’habit de deuil porté par ses semblables; c’étoit le blanc, & elle prit le noir »
« Sous le règne de Henri III (1551-1589), on appelait encore reines blanches les reines veuves de nos rois. « Henri III en arrivant à Paris, alla saluer la reine blanche,» dit l’Estoile: c’était Élisabeth d’Autriche, veuve de Charles IX. »
Louise de Lorraine, veuve de Henri III, s’est retirée au château de Chenonceau et a porté des vêtements blancs jusqu’à la fin de sa vie, ce qui lui a valu le surnom de « dame blanche ».
Origines du mythe
Outre des origines purement imaginaires, certains évènements nocturnes peuvent avoir stimulé, sans nécessairement le créer, le mythe des dames blanches champêtres. Pour les lavandières de la nuit, il s’agit du coassement rythmé de certaines grenouilles reproduisant le bruit des battoirs, la nuit au bord des mares. Une autre explication serait la vision de certains rapaces nocturnes, telle la chouette effraie, dont un des surnoms est précisément « dame blanche ».
« Elle était haute comme un jeune garçon avec un plumage blanc dans lequel la lune donnait de tous ses feux. De loin, et mes cheveux s’en sont dressés sur la tête, on aurait dit une dame blanche. Ma terreur ne fit que s’accroître lorsqu’elle poussa un cri semblable à celui d’une femme qu’on égorge… »
Littérature
• La Dame blanche des Habsbourg - roman de Paul Morand
• La dame blanche était en noir - roman de Michel Brosseau
Bibliographie
Adolphe de Chesnel, Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés et traditions populaires, Abbé Migne, Paris, 1856, 680 p.
• Xavier Yvanoff, Histoire de revenants, t. 2, JMG, coll. « Témoins d’au-delà », 12 juillet 2007,
