A ma fille Adèle

 

Tout enfant, tu dormais près de moi, rose et fraîche,

Comme un petit Jésus assoupi dans sa crèche ;

Ton pur sommeil était si calme et si charmant

Que tu n'entendais pas l'oiseau

chanter dans l'ombre ;

Moi, pensif, j'aspirais toute la douceur sombre

Du mystérieux firmament.

Et j'écoutais voler sur ta tête les anges ;

Et je te regardais dormir ; et sur tes langes

J'effeuillais des jasmins et des oeillets sans bruit ;

Et je priais, veillant sur tes paupières closes ;

Et mes yeux se mouillaient de pleurs,

 songeant aux choses

Qui nous attendent dans la nuit.

Un jour mon tour viendra de dormir ;

et ma couche, faite d'ombre,

 sera si morne et si farouche

Que je n'entendrai pas non plus chanter l'oiseau ;

Et la nuit sera noire ; alors, ô ma colombe,

Larmes, prière et fleurs, tu rendras à ma tombe

Ce que j'ai fait pour ton berceau.

 

Victor HUGO